L’empreinte du rêve : Surréalisme

Le surréalisme dans les arts graphiques et la photographie

1. Introduction – Le rêve dans l’art

Mesdames, Messieurs, bonjour et bienvenue.

Je suis heureux de vous accueillir aujourd’hui pour cette plongée dans un des mouvements artistiques les plus mystérieux, les plus audacieux, les plus libres aussi : le surréalisme.
Ce mouvement est une véritable révolution qui a bouleversé notre manière de voir, de penser et de représenter le monde — en s’éloignant du réel… pour mieux le comprendre à travers le rêve, l’inconscient, l’imaginaire.

Ce que vous allez découvrir dans cette exposition, ce ne sont pas seulement des estampes magnifiques, techniquement maîtrisées, signées de grands Maîtres et les extraordinaires photographies de Thierry Ragogna, ce sont des fragments d’un monde intérieur, des visions venues de l’inconscient, parfois poétiques, parfois troublantes — mais toujours puissantes.

Le surréalisme a profondément marqué le XXème siècle, mais son empreinte est toujours vivante dans la photographie ainsi que dans la peinture sud-américaine contemporaines.

2. Le surréalisme : libérer l’invisible

Le surréalisme naît officiellement en 1924, avec la publication du Manifeste du surréalisme par André Breton, même si dès 1917 Guillaume Apollinaire a utilisé le terme pour décrire son drame « les mamelles de Tirésias » comme « une expérience artistique transcendant le réel »
La Première Guerre mondiale a laissé l’Europe désorientée, dévastée.
En réaction à l’absurdité du monde, un groupe de poètes, artistes, penseurs refuse la logique, le rationnel, les conventions.

Ils font suite de manière très différente au Dadaïsme qui cherchait à dépouiller l’art et la littérature de tout romantisme et lyrisme

Les surréalistes vont puiser ailleurs : dans les rêves, dans le hasard, dans l’inconscient freudien.
Ils veulent créer sans filtre, en laissant venir les images, les mots, les formes — comme on laisse venir un rêve.

Le surréalisme ne cherche donc ni la beauté, ni la vérité objective. Il cherche la « libération totale de l’esprit », l’art étant perçu comme un « cri de l’esprit’

3. Le surréalisme en arts graphiques et en photoographie: un terrain d’expérimentation

Contrairement à ce que l’on pense parfois, le surréalisme ne se limite pas à la peinture ou à la poésie.
Les arts graphiques — dessin, gravure, lithographie —  et la photographie sont au cœur de cette aventure. Pourquoi ?

Parce que ces techniques permettent la spontanéité : le trait libre, l’automatisme, le surgissement d’images étranges.
Parce qu’elles favorisent aussi la multiplication, la diffusion des œuvres — un idéal collectif cher aux surréalistes.

Voici les auteurs des œuvres surréalistes que vous retrouverez dans cette exposition :

Max Ernst : Inventeur de techniques inédites comme le frottage (grattage d’une surface pour faire apparaître des formes). Il crée des mondes absurdes, hybrides, pleins de figures impossibles à la frontière enter poésie visuelle et archéologie mentale.

Joan Miró : Il mêle dessin, poésie, signes, formes flottantes… Ses estampes nous parlent une langue qu’on ne connaît pas encore, mais qu’on ressent profondément.

Salvador Dalí : Maître de l’hyperréalisme délirant et halluciné. Il utilise la précision académique parfaitement maîtrisée pour représenter l’impossible, le fantastique, l’ambigu qui défient la logique.

René Magritte : Avec ses paradoxes visuels, ses images à double sens et ses légendes mystérieuses, il déjoue notre logique. Une pipe, ce n’est pas une pipe. Une pierre flotte dans le ciel. Le réel est un piège à idées.

Man Ray : Photographe et artiste dada‑surréaliste, il révolutionne l’image avec la solarisation et ses « rayographies » (photogrammes sans appareil), où des objets ordinaires deviennent visions mentales. C’était aussi un peintre de talent comme on peut le voir dans cette exposition ..

Entre érotisme, jeu et hasard, ses objets‑poèmes, films, peintures et estampes interrogent le regard et détournent le réel.

André Masson : Figure majeure de l’automatisme, il laisse l’inconscient guider le geste (dessin automatique, sable collé) pour faire surgir formes biomorphiques, violence, désir et mythes.

Sa liberté du tracé ouvre la voie à l’abstraction gestuelle d’après‑guerre.

Thierry Ragogna : Photographe belge contemporain, il explore des atmosphères ambivalentes, des mondes flottants entre le rêve et le réel où la lumière, les couleurs dominantes, les textures deviennent des langages symboliques. L’émotion y surgit d’un déséquilibre maîtrisé, d’un détail troublant, d’une narration visuelle énigmatique.

4. Deux regards parallèles : De Chirico et CoBrA

Giorgio de Chirico
Avant même le surréalisme, dès 1910, De Chirico peint des places vides, statues figées, ombres longues et inquiétantes.
Ce sont des paysages du rêve, des scènes où le temps semble suspendu.

Les surréalistes l’adorent — au début. Mais dès les années 1920, De Chirico revient à un style plus classique.
Il refuse de suivre le groupe, et les surréalistes le rejettent.

Pourtant, on peut dire qu’il est l’un des pères fondateurs du surréalisme, même s’il n’en fait pas partie.

Le mouvement CoBrA
Après la Seconde Guerre mondiale, un autre courant naît : CoBrA (Copenhague – Bruxelles – Amsterdam).

Ici, l’inspiration n’est pas Freud, mais l’enfance, l’instinct, la révolte.
Les artistes CoBrA, comme Pierre Alechinsky, Karel Appel, Dotremont, peignent avec énergie, improvisation, presque sauvagement.

Ils partagent avec les surréalistes le goût de l’automatisme, du refus des normes.
Mais leur approche est plus corporelle, plus immédiate, presque joyeusement chaotique.

Dans cette exposition, vous verrez des estampes d’Alechinsky et de Corneille, regardez bien : l’esprit de liberté y est total. Ce n’est plus un rêve figé, c’est une écriture vivante

5. Conclusion – Voir autrement

En sortant de cette conférence, et en visitant l’exposition, je vous invite à regarder sans chercher à comprendre tout de suite.
Les estampes et photographies surréalistes ne racontent pas des histoires, elles évoquent, suggèrent, troublent.

Elles nous invitent à poser un autre regard sur le monde — plus libre, plus étrange, plus intérieur.

Je terminerai avec cette phrase de Magritte :
« Le surréalisme, c’est la mise en question du monde visible. »

Merci de votre attention, et bonne visite parmi les songes imprimés.

Conférence « Le Pop Art : quand l’art rencontre la vie »

Mesdames, Messieurs, chers amis de la Galerie 55,

Bonsoir et bienvenue pour ce vernissage consacré au Pop Art.

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui pour parcourir ensemble un mouvement qui, plus que tout autre au XXe siècle, a su capter l’énergie du monde moderne : un monde de publicités, de médias, de couleurs éclatantes, de vitesse, de stars, de slogans, mais aussi de doutes, de tensions et de contradictions.

Ce soir, nous allons voir comment le Pop Art est né, ce qu’il a apporté, et surtout comment les artistes que nous exposons — Andy Warhol, Roy Lichtenstein, Keith Haring, Jean-Michel Basquiat, Tom Wesselmann et David Hockney — ont chacun transformé ce courant en un langage personnel, reconnaissable entre tous.

En résonnance à ces œuvres, nous sommes heureux de présenter les oeuvres de deux artistes contemporains : Thierry Ragogna et Bers Grandsinge que je présenterai plus avant tout à l’heure..

  1. Le Pop Art : naissance d’une révolution visuelle

Pour comprendre le Pop Art, il faut d’abord imaginer l’Amérique et la Grande-Bretagne des années 1950.

Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis connaissent une croissance économique spectaculaire. La société de consommation s’installe : les supermarchés se multiplient, les objets industriels envahissent les foyers, la publicité se colore, la télévision entre dans les salons. La modernité n’est plus une abstraction : elle devient le cadre de vie quotidien.

Parallèlement, les images se mettent à circuler partout : dans les journaux, les magazines, les affiches, les panneaux publicitaires, les écrans. La société entière devient une sorte de gigantesque décor d’images.

Le Pop Art naît précisément de ce choc : le choc entre l’héritage de l’art « classique » ou « abstrait », et ce nouveau monde saturé d’images et de produits de consommation.

Les artistes Pop vont répondre à cette situation non pas en se retirant dans un univers purement intérieur, mais au contraire en plongeant dans cette culture populaire pour en faire la matière même de leur art.

  1. L’Angleterre comme laboratoire : l’Independent Group

Curieusement, l’histoire ne commence pas à New York mais à Londres, au début des années 1950. Un groupe d’artistes, de critiques et d’architectes — l’Independent Group — se réunit à l’Institute of Contemporary Arts. Ils s’intéressent à ce que beaucoup considèrent alors comme de la « sous-culture » : les comics américains, les gadgets, les films hollywoodiens, la publicité, le design des objets ménagers.

En 1956, Richard Hamilton réalise un collage devenu célèbre : « Just what is it that makes today’s homes so different, so appealing? ». On y voit un intérieur moderne rempli d’objets du quotidien, d’images publicitaires, de corps idéalisés. Cette œuvre est souvent considérée comme l’une des premières manifestations du Pop Art.

Avec ce geste, Hamilton annonce les thèmes du mouvement : les objets de consommation, les stars, la publicité, l’humour, la critique sociale, le mélange du trivial et du symbolique. L’Angleterre joue ainsi le rôle de laboratoire théorique et visuel du Pop Art.

  1. New York : le Pop Art devient un mouvement majeur

À la fin des années 1950, New York est déjà la capitale mondiale de l’art, dominée par l’expressionnisme abstrait (Pollock, Rothko, de Kooning). Cet art est lyrique, gestuel, introspectif. Le Pop Art va justement naître en réaction à cette approche.

Les artistes Pop rejettent le mythe de l’artiste héroïque, seul face à la toile, exprimant ses tourments intérieurs. Ils s’intéressent plutôt aux images produites par la société moderne : photographies de presse, affiches, bandes dessinées, logos, emballages. Ils veulent un art qui parle de la vie réelle telle qu’elle est médiatisée, filtrée par la publicité et la télévision.

New York devient alors le centre du Pop Art américain

  1. Les principes esthétiques du Pop Art

Les 5 grands principes du Pop Art.

  1.  L’appropriation des images préexistantes

Le Pop Art ne part pas de zéro. Il reprend des images préexistantes : photographies de magazines, dessins de bandes dessinées, logos, affiches, portraits de célébrités. L’artiste Pop ne cherche plus seulement à inventer une image « pure », il choisit, prélève, isole, agrandit, recadre et transforme des images déjà présentes dans la culture visuelle.

  1. b) La répétition et la sérialité

Les artistes Pop utilisent volontiers la répétition : un même motif décliné en série, avec des variations de couleurs, de cadrage, de contraste. La sérialité reflète le monde industriel, où les objets sont produits en grande quantité.

  1. c) La couleur éclatante et l’aplat

Le Pop Art se caractérise par des couleurs vives, franches, souvent posées en aplats : peu de dégradés, peu d’ombres, mais des contrastes nets. C’est une couleur qui vient de l’imprimerie commerciale et de l’affiche publicitaire, pensée pour attirer le regard immédiatement

  1. d) Le détournement et le déplacement

Un objet banal peut devenir œuvre d’art : une boîte de conserve, un paquet de cigarettes, une image de pin-up, une case de bande dessinée. En changeant d’échelle, de contexte, de support, l’objet change de statut. Le Pop Art nous oblige ainsi à regarder autrement ce que nous pensions connaître.

  1. e) L’humour et la distance critique

Le Pop Art est souvent drôle, ironique, léger en apparence. Mais cet humour cache une réflexion critique : sur la consommation, la standardisation, l’aliénation par les médias. Le mouvement oscille sans cesse entre la célébration joyeuse de la culture populaire et sa mise à distance.

  1. Le Pop Art comme miroir social

Au-delà de son style visuel, le Pop Art est un miroir tendu à la société moderne. Il interroge le statut de l’image dans un monde où tout passe par l’image. Il montre comment les objets industriels deviennent les nouveaux symboles de notre époque.

Ce qui rend le Pop Art particulièrement actuel, c’est qu’il annonçait déjà notre monde numérique: un monde d’images démultipliées, de célébrités instantanées, de marques omniprésentes.

  1. Les artistes exposés

  • Andy Warhol : le pape du Pop Art

Warhol comprend très tôt que les célébrités, les marques et les produits de consommation sont les nouveaux mythes de la société américaine.

La technique de la sérigraphie, qu’il adopte massivement, lui permet de travailler comme une « machine » : il peut reproduire une image à l’infini, changer les couleurs, jouer sur les accidents d’impression. L’original n’a plus vraiment de sens : ce qui compte, c’est la série, la variation, la production en masse.

  • Roy Lichtenstein : quand la bande dessinée devient art majeur

Lichtenstein a l’audace de puiser directement dans les bandes dessinées populaires : vignettes, héroïnes dramatiques, scènes de guerre, onomatopées spectaculaires. Il agrandit ces images à une échelle monumentale et les retravaille soigneusement, tout en conservant l’illusion du dessin « industriel ».

Son signe distinctif, ce sont les fameux Benday dots : ces points colorés utilisés dans l’impression commerciale pour créer des aplats et des dégradés. En les agrandissant, Lichtenstein révèle au grand jour le « grain » de l’impression, la trame mécanique cachée derrière les images lisses des magazines.

  • Keith Haring : le Pop Art comme langage universel

Avec Keith Haring, le Pop Art descend dans la rue. Haring commence en dessinant à la craie sur les panneaux publicitaires inoccupés du métro new-yorkais. Il invente très vite un vocabulaire graphique immédiatement reconnaissable : bébés rayonnants, chiens aboyeurs, corps en mouvement, silhouettes dansantes.

  • Jean-Michel Basquiat : le Pop Art viscéral

Basquiat vient de la rue et du graffiti. Il mélange dans ses œuvres la culture noire américaine, le jazz, le rap naissant, l’histoire de l’art, l’anatomie, les mathématiques, les mots et les symboles. Ses toiles et ses dessins sont traversés de couronnes, de crânes, de figures déconstruites, de phrases griffonnées.

Là où Warhol garde souvent une distance froide, Basquiat injecte une intensité émotionnelle, une urgence presque douloureuse. Son art est un cri, un autoportrait éclaté, une manière de revendiquer une place dans une société marquée par les tensions raciales et sociales.

  • Tom Wesselmann : la sensualité moderne

Tom Wesselmann aborde le Pop Art par un autre chemin : celui de la sensualité et des thèmes classiques de la peinture. Il revisite le nu, la nature morte, les intérieurs, mais avec le langage visuel de la publicité et du design.

  • David Hockney : la couleur comme joie

David Hockney, bien que souvent rangé dans une catégorie à part, est l’une des figures qui ont donné au Pop Art une dimension plus intime et plus lumineuse.

Britannique installé en Californie, Hockney s’empare de motifs devenus emblématiques : paysages, piscines, jardins, intérieurs modernes, portraits d’amis. Ses œuvres sont marquées par une grande clarté de composition, une ligne fluide et une couleur limpide.

Nos artistes Contemporains :

 

  • Thierry Ragogna : artiste résident de la galerie Peintre et photographe, Thierry, à travers sa maîtrise impressionnante de la promptographie nous transporte dans un autre monde qui mêle réalisme et fiction tout en respectant les codes du mouvement artistique objet de l’exposition en cours comme il l’avait déjà fait magnifiquement pour l’exposition sur le surréalisme…
  • Bers Grandsinge : peintre belge né au Congo, qui a eu le privilège de fréquenter Basquiat à New York, nous transporte dans un monde  dont les couleurs et les traits nous interpellent.  …
  1. Conclusion

Pourquoi le Pop Art nous parle-t-il encore autant aujourd’hui ?

Parce que nous vivons plus que jamais dans un univers d’images : celles des réseaux sociaux, de la publicité numérique, des écrans omniprésents. Ce que les artistes Pop avaient pressenti — la célébrité éphémère, la circulation infinie des images, la confusion entre le réel et sa représentation — est devenu notre quotidien.

Je vous invite maintenant à découvrir les œuvres, à vous laisser happer par les couleurs, les lignes, les figures, et à laisser vos propres questions émerger.

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite une très belle soirée au sein de la Galerie.

Picasso et la suite Vollard

Les Protagonistes 

Pablo Picasso : né le 25 octobre 1881 à Malaga, mort le 8 avril 1973 à Mougins

L’un des plus important, prolifique et influant artiste du XXEME siècle avec environ 50 000 œuvres dont 1885 Tableaux, 1228 Sculptures, 2880 céramiques, 7089 dessins, 342 tapisseries, 150 carnets de croquis et 30 000 estampes au sein desquelles, comme on le verra plus loin, « la suite Vollard » occupe une place très importante, car c’est en la créant que Picasso a développé son expertise technique en matière d’estampe.

Ambroise Vollard : né le 3 juillet 1866 à Saint Denis de la Réunion, mort le 22 juillet 1939 à Versailles

Fils de notaire, il quitte la Réunion pour faire des études de droit à Montpellier, mais fait finalement ses études de droit à Paris où il développe son goût pour la peinture et les arts graphiques en général.

Dès 1890 il fait commerce d’estampes et de dessins dans son appartement de Montmartre et ouvre sa véritable galerie 37 rue Laffite en 1893. Il y expose de nombreux artistes majeurs dont Gauguin et Matisse et se lie étroitement à Renoir et Cézanne. Il se lance dans l’édition et en 1895 édite un premier recueil de lithographies …Après son expulsion de la rue Laffitte pour cause de percement du boulevard Haussmann, Vollard s’installe dans un hôtel particulier 28 rue de Martignac Paris VII -ème où il reçoit sur RV.

En 1901 il expose, conjointement avec Francisco Iturrino (1864-1924, post impressionniste proche des fauvistes), un jeune peintre espagnol récemment installé à Paris : Pablo Picasso …Vollard a édité de nombreuses estampes de Picasso avant sa commande des 100 estampes de « la suite Vollard »

Il devient l’un des plus important et influant marchand de Paris auprès duquel les plus grands collectionneurs du monde viennent se « fournir ». Parallèlement il est pris d’une véritable passion pour l’estampe et se lance activement et avec succès dans l’édition avec pour idée de base de faire réaliser des gravures par des artistes qui n’étaient pas graveurs de profession. C’est ainsi qu’il édita des estampes de Bonnard, Cézanne, Maurice Denis, Odilon Redon, Renoir et bien entendu Picasso et bien d’autres …

IL meurt en 1939 dans un accident de voiture. Il n’a ni femme ni enfant et n’a pas fait de testament … Sa succession est une incroyable histoire qui pourrait faire l’objet d’une conférence dédiée … Peut-être pour une prochaine fois !!!

En synthèse, son frère Lucien prend en charge la succession, avec Martin Fabiani, ancien assistant de Vollard qui n’était pas un personnage très recommandable qui fait gruger, à son avantage Lucien par des « experts » et des marchands véreux.  Martin Fabiani  a joué un rôle clé dans les « turpitudes » de la succession Vollard ponctuée par de nombreux rebondissements et des procès fameux …

En 1941 un marchand très réputé sur la place de Paris : Le Baron Petiet découvre le fonds d’estampe de Vollard que Lucien Vollard souhaite vendre et propose de le racheter, mais Lucien Vollard et Martin Fabiani vendent dans des circonstances rocambolesques et très limites à d’autres une partie du fonds.

Vers la fin de la guerre, inquiets de ce qu’il pourrait advenir dans cette période très trouble, Lucien Vollard et Martin Fabiani cherchent à vendre le reste du Fonds Vollard.

Petiet contacté propose d’acquérir   pour 1 million de francs (22M€ !!) les milliers d’œuvres, dont la suite, qui se trouvaient entreposées dans le garage de l’hôtel particulier de Vollard.

Cette proposition est acceptée avec soulagement …

Le déménagement de ces milliers d’œuvres à Paris encore occupé est un roman à lui seul …

Qui est Henri-Marie Petiet ?

Henri-Marie Petiet : né le 17 août 1894 à Saint Prix, mort le 25 août 1980 à La Garenne-Colombes :

C’est un collectionneur convulsif et un bibliophile passionné qui, après la première guerre mondiale porte son intérêt sur l’estampe sans pour autant abandonner ses autres centres d’intérêt et de collection.

Descendant d’un Baron d’Empire, d’où son appellation « le Baron Petiet », il est notamment le fils d’un Ingénieur de la Compagnie des Chemins de fer dont il tire une passion pour le modélisme ferroviaire.

De 1915 à 1920 il travaille dans l’usine d’automobile de son frère Charles. Il devient collectionneur de voitures anciennes et en possédera plus de 300 !!

De bibliophile il devient amateur d’estampes et achète au marchand Vollard des estampes de Maurice Denis, Odilon Redon, Bonnard, …

En 1927 il devient éditeur et publie des estampes et livres illustrés d’André Derain, Dunoyer de Segonzac, … Il édite notamment le catalogue raisonné de l’œuvre gravée et lithographiée de Matisse.

Après avoir exercé en appartement, il ouvre sa galerie « A la belle épreuve » rue de Tournon à Paris. Il est réputé pour la qualité de ses épreuves et se développe sur les marchés internationaux et auprès des grands musées et institutions, notamment aux USA.

En 1950 Petiet entreprend la vente de la Suite Vollard qu’il a acquise en 1944, mais, comme on le verra plus loin, il doit d’abord régler 2 gros problèmes ..

Comment est venue l’idée de la « suite Vollard » ?

Au milieu des années 20 Vollard va chez Picasso et découvre un tas de dessins aux traits qui lui paraissent intéressant. Picasso lui dit que ce sont des « Gribouillis ». « Je viens de lire le chef d’œuvre inconnu de Balzac et cela m’a inspiré ces dessins ; d’ailleurs j’allais m’en débarrasser ». Vollard lui propose alors d’illustrer dans ce style le livre de Balzac. Picasso accepte. A cette époque, il ne pratiquait que la gravure sur bois et en a réalisé 67 pour illustrer ce livre. Par hasard en se promenant à Montmartre, il découvre l’atelier de taille douce de Roger Lacourière et se passionne pour cette technique à laquelle Lacourière l’initie. Il réalise alors 13 eaux fortes qu’il apporte à Vollard en plus des 67 gravures sur bois.

Vollard, séduit par ces eaux fortes, propose alors à Picasso de lui commander 100 eaux fortes d’un sujet à son choix.

Après hésitation, mais alléché par l’offre de Vollard de le rémunérer par un Renoir et un Cézanne, il accepte, d’autant que Vollard ne lui met pas de contrainte de temps.,,,

Le deal verbal entre Picasso et Vollard

Une série de 100 eaux fortes tirées en

3 exemplaires sur parchemin

15 exemplaires sur papier « grand format »

50 sur papier « petit format »

Soit 68 X 100 = 6800 épreuves à signer

La création des estampes de 1930 à 1937

En 1930 Picasso achète le Château de Boisgeloup (près de Gisors), y aménage un atelier de sculpture et y installe la presse à bras qu’il avait achetée à Louis Fort (célèbre graveur) lorsqu’il avait pris sa retraite. Picasso pouvait alors « à domicile » tirer à sa guise les essais de la suite.

Pour concrétiser son accord, Picasso livre la première année (septembre 1930/septembre1931) 10 eaux fortes réalisées dans l’atelier de Roger Lacourière

En 1932 : 1 œuvre

L’année 1933 est particulièrement créatrice puisqu’il réalise 60 eaux fortes

1934 : 24 gravures On est à 95 estampes, donc tout près des 100 à réaliser ..

1935 : aucune œuvre. Picasso divorce d’Olga à qui il cède Boisgeloup où il ne reviendra plus

1936 : 2 œuvres

1937 : En panne d’inspiration, il réalise 3 portraits de Vollard pour atteindre les 100 et finir le travail …

Les thèmes :

Sans réelle chronologie on a l’habitude de distinguer 5 thèmes  :

Le plaisir d’aimer et le bonheur avec sa nouvelle maitresse Marie-Thérèse Walter souvent représentée …

Le viol/l’étreinte

L’atelier et le repos du sculpteur

Rembrand

Le minotaure

Il y a une relative homogénéité de style dans les œuvres, mais on peut distinguer dans certaines œuvres des liens avec les mouvements artistiques de cette période : surréalisme et cubisme …

L’édition et l’imbroglio …

Fin 1938 Lacourière édite 3 tirages de la Suite sur parchemin. Picasso les signe. Il ne reste alors plus qu’à tirer les épreuves sur grand et petit formats.

Curieusement Vollard prend son temps et ce n’est qu’en1939 que Lacourière édite l’ensemble de la suite.

En juin 1939 Picasso commence à signer les épreuves. Il débute par les tirages à grande marge et signe 15 épreuves.

Après avoir signé 10 premières épreuves sur petite papier, Picasso arrête de signer et pique une énorme colère !

Furieux, il va trouver Vollard et une scène violente se déroule entre eux. Il n’y a pas de traces du contenu de cette dispute et de ses causes et en juillet Vollard meurt dans son accident de voiture … On peut néanmoins reconstituer ce qu’il s’est passé ….

Les causes …

En réalité, les commandes de papier et le nombre d’épreuves produites sont très au-delà du deal ORAL. On trouve en effet :

3 parchemins

50 grands formats au lieu de 15

260 petits formats (250+10) au lieu de 50

Soit 31000 œuvres à signer au lieu de 6800 !!!

Vollard pensait-il que cela allait passer ??? Que Picasso ne dirait rien et accepterait ???

On ne le saura jamais du fait de la mort de Vollard peu de temps après la dispute avec Picasso

et en plus en septembre 1939 commence la guerre

 La mise sur le marché de la Suite Vollard

Henri-Marie Petiet qui a acquis le fonds Vollard souhaite dans l’après-guerre en commencer la commercialisation. IL se trouve alors face à 2 problèmes : Très peu d’épreuves sont signées ( 3 séries sur parchemin, 15 sur grands papiers, 10 sur petit papier)  et il en manque 3 !!! Il n’a que 97 Estampes !!

Que s’est-il passé pour que l’on en soit là et que faire ?

Dans l’imbroglio de la succession Vollard, Fabiani et Lucien avaient cédé au galériste Marcel Lecomte les « 3 portraits de Vollard qui finissaient la suite (plaques et tirages que Lecomte avait de son côté fait signer par Picasso) …

Petiet se trouve donc dans l’obligation de mener 2 négociations :  Une avec Lecomte pour obtenir des séries complètes et avec une avec Picasso pour obtenir les signatures indispensables à la valorisation des Estampes …

Contre toute attente, Picasso se monte ouvert à procéder à des signatures, cat il est ému de revoir ses créations. Toutefois, il reste ferme sur le prix de chaque signature (100 francs soit 333€) soit tout de même 3 millions de francs au total (10 M€ !!!!: !!!!)

Accord est pris pour des signatures au coup par coup.

Petiet parvient à constituer plusieurs séries complètes signées et les proposent aux grands musées internationaux et à des grands collectionneurs. Plusieurs séries sont aussi démantelées et les épreuves vendues à l’unité …

On dénombre 14 musées dans le monde possédant une série complète dont la bibliothèque nationale française, 6 musées aux USA dont le MOMA, 3 en Allemagne, 1 en GB, 1 à Caracas, 1 à Camberra et un au Canada (Ottawa)

Picasso signe des estampes jusqu’en 1968 à des tarifs qui augmentent régulièrement, puis, sans que l’on en connaisse la raison, n’accepte plus d’en signer

En 1973, lorsque Picasso meurt, Petiet possède encore un grand nombre de séries non signées. IL tente alors sans succès de négocier avec les héritiers Picasso la possibilité de réaliser un tampon reproduisant la signature de Picasso permettant ainsi d’authentifier les tirages. Il reste donc en possession de nombreuses épreuves non signées … Il n’existe pas de statistique sur le nombre d’estampes signées et le nombre d’estampes non signées.

Après la mort de Petiet en 1980, ses héritiers se trouvent en possessions de piles et de piles d’estampes, dont la suite Vollard,.

Commence alors le plus grand marathon de vente qui ait existé avec 2 ventes d’estampes par an de 1980 à 2017 !!!  Année où le 27 novembre une série complète signée a été mise en vente et vendue pour un prix du marteau de 1,9 millions d’Euros … 19000 €/estampe … ce prix a été battu en 2019 par une vente à New York pour 4,3 Millions d’Euros (43000€/l’estampe) …

Cette existence de nombreuse épreuves non signées explique la présence sur le marché de séries comprenant des épreuves signées et des épreuves non signées ainsi que la vente fréquente à l’unité de telle ou telle estampe de la série à des prix très variables de 5000 à 20 000€ selon le sujet et le moment …

Les éditions officielles de la Suite Vollard

2 éditions du vivant de Picasso

1939 Edition Vollard originale : 310 eaux fortes (260=50 ).

1956 Edition Hatje avec accord de Picasso qui a signé un certain nombre des 500 lithographies produites (nombre d’épreuves signées inconnu)

Plusieurs éditions posthumes dont la plus importante est en

1992  l’ Edition Spadem pour le musée de Mühlheim an der Ruhr de 1200 Lithographies, évidemment non signées puisque posthumes …