Les Protagonistes
Pablo Picasso : né le 25 octobre 1881 à Malaga, mort le 8 avril 1973 à Mougins
L’un des plus important, prolifique et influant artiste du XXEME siècle avec environ 50 000 œuvres dont 1885 Tableaux, 1228 Sculptures, 2880 céramiques, 7089 dessins, 342 tapisseries, 150 carnets de croquis et 30 000 estampes au sein desquelles, comme on le verra plus loin, « la suite Vollard » occupe une place très importante, car c’est en la créant que Picasso a développé son expertise technique en matière d’estampe.
Ambroise Vollard : né le 3 juillet 1866 à Saint Denis de la Réunion, mort le 22 juillet 1939 à Versailles
Fils de notaire, il quitte la Réunion pour faire des études de droit à Montpellier, mais fait finalement ses études de droit à Paris où il développe son goût pour la peinture et les arts graphiques en général.
Dès 1890 il fait commerce d’estampes et de dessins dans son appartement de Montmartre et ouvre sa véritable galerie 37 rue Laffite en 1893. Il y expose de nombreux artistes majeurs dont Gauguin et Matisse et se lie étroitement à Renoir et Cézanne. Il se lance dans l’édition et en 1895 édite un premier recueil de lithographies …Après son expulsion de la rue Laffitte pour cause de percement du boulevard Haussmann, Vollard s’installe dans un hôtel particulier 28 rue de Martignac Paris VII -ème où il reçoit sur RV.
En 1901 il expose, conjointement avec Francisco Iturrino (1864-1924, post impressionniste proche des fauvistes), un jeune peintre espagnol récemment installé à Paris : Pablo Picasso …Vollard a édité de nombreuses estampes de Picasso avant sa commande des 100 estampes de « la suite Vollard »
Il devient l’un des plus important et influant marchand de Paris auprès duquel les plus grands collectionneurs du monde viennent se « fournir ». Parallèlement il est pris d’une véritable passion pour l’estampe et se lance activement et avec succès dans l’édition avec pour idée de base de faire réaliser des gravures par des artistes qui n’étaient pas graveurs de profession. C’est ainsi qu’il édita des estampes de Bonnard, Cézanne, Maurice Denis, Odilon Redon, Renoir et bien entendu Picasso et bien d’autres …
IL meurt en 1939 dans un accident de voiture. Il n’a ni femme ni enfant et n’a pas fait de testament … Sa succession est une incroyable histoire qui pourrait faire l’objet d’une conférence dédiée … Peut-être pour une prochaine fois !!!
En synthèse, son frère Lucien prend en charge la succession, avec Martin Fabiani, ancien assistant de Vollard qui n’était pas un personnage très recommandable qui fait gruger, à son avantage Lucien par des « experts » et des marchands véreux. Martin Fabiani a joué un rôle clé dans les « turpitudes » de la succession Vollard ponctuée par de nombreux rebondissements et des procès fameux …
En 1941 un marchand très réputé sur la place de Paris : Le Baron Petiet découvre le fonds d’estampe de Vollard que Lucien Vollard souhaite vendre et propose de le racheter, mais Lucien Vollard et Martin Fabiani vendent dans des circonstances rocambolesques et très limites à d’autres une partie du fonds.
Vers la fin de la guerre, inquiets de ce qu’il pourrait advenir dans cette période très trouble, Lucien Vollard et Martin Fabiani cherchent à vendre le reste du Fonds Vollard.
Petiet contacté propose d’acquérir pour 1 million de francs (22M€ !!) les milliers d’œuvres, dont la suite, qui se trouvaient entreposées dans le garage de l’hôtel particulier de Vollard.
Cette proposition est acceptée avec soulagement …
Le déménagement de ces milliers d’œuvres à Paris encore occupé est un roman à lui seul …
Qui est Henri-Marie Petiet ?
Henri-Marie Petiet : né le 17 août 1894 à Saint Prix, mort le 25 août 1980 à La Garenne-Colombes :
C’est un collectionneur convulsif et un bibliophile passionné qui, après la première guerre mondiale porte son intérêt sur l’estampe sans pour autant abandonner ses autres centres d’intérêt et de collection.
Descendant d’un Baron d’Empire, d’où son appellation « le Baron Petiet », il est notamment le fils d’un Ingénieur de la Compagnie des Chemins de fer dont il tire une passion pour le modélisme ferroviaire.
De 1915 à 1920 il travaille dans l’usine d’automobile de son frère Charles. Il devient collectionneur de voitures anciennes et en possédera plus de 300 !!
De bibliophile il devient amateur d’estampes et achète au marchand Vollard des estampes de Maurice Denis, Odilon Redon, Bonnard, …
En 1927 il devient éditeur et publie des estampes et livres illustrés d’André Derain, Dunoyer de Segonzac, … Il édite notamment le catalogue raisonné de l’œuvre gravée et lithographiée de Matisse.
Après avoir exercé en appartement, il ouvre sa galerie « A la belle épreuve » rue de Tournon à Paris. Il est réputé pour la qualité de ses épreuves et se développe sur les marchés internationaux et auprès des grands musées et institutions, notamment aux USA.
En 1950 Petiet entreprend la vente de la Suite Vollard qu’il a acquise en 1944, mais, comme on le verra plus loin, il doit d’abord régler 2 gros problèmes ..
Comment est venue l’idée de la « suite Vollard » ?
Au milieu des années 20 Vollard va chez Picasso et découvre un tas de dessins aux traits qui lui paraissent intéressant. Picasso lui dit que ce sont des « Gribouillis ». « Je viens de lire le chef d’œuvre inconnu de Balzac et cela m’a inspiré ces dessins ; d’ailleurs j’allais m’en débarrasser ». Vollard lui propose alors d’illustrer dans ce style le livre de Balzac. Picasso accepte. A cette époque, il ne pratiquait que la gravure sur bois et en a réalisé 67 pour illustrer ce livre. Par hasard en se promenant à Montmartre, il découvre l’atelier de taille douce de Roger Lacourière et se passionne pour cette technique à laquelle Lacourière l’initie. Il réalise alors 13 eaux fortes qu’il apporte à Vollard en plus des 67 gravures sur bois.
Vollard, séduit par ces eaux fortes, propose alors à Picasso de lui commander 100 eaux fortes d’un sujet à son choix.
Après hésitation, mais alléché par l’offre de Vollard de le rémunérer par un Renoir et un Cézanne, il accepte, d’autant que Vollard ne lui met pas de contrainte de temps.,,,
Le deal verbal entre Picasso et Vollard
Une série de 100 eaux fortes tirées en
3 exemplaires sur parchemin
15 exemplaires sur papier « grand format »
50 sur papier « petit format »
Soit 68 X 100 = 6800 épreuves à signer
La création des estampes de 1930 à 1937
En 1930 Picasso achète le Château de Boisgeloup (près de Gisors), y aménage un atelier de sculpture et y installe la presse à bras qu’il avait achetée à Louis Fort (célèbre graveur) lorsqu’il avait pris sa retraite. Picasso pouvait alors « à domicile » tirer à sa guise les essais de la suite.
Pour concrétiser son accord, Picasso livre la première année (septembre 1930/septembre1931) 10 eaux fortes réalisées dans l’atelier de Roger Lacourière
En 1932 : 1 œuvre
L’année 1933 est particulièrement créatrice puisqu’il réalise 60 eaux fortes
1934 : 24 gravures On est à 95 estampes, donc tout près des 100 à réaliser ..
1935 : aucune œuvre. Picasso divorce d’Olga à qui il cède Boisgeloup où il ne reviendra plus
1936 : 2 œuvres
1937 : En panne d’inspiration, il réalise 3 portraits de Vollard pour atteindre les 100 et finir le travail …
Les thèmes :
Sans réelle chronologie on a l’habitude de distinguer 5 thèmes :
Le plaisir d’aimer et le bonheur avec sa nouvelle maitresse Marie-Thérèse Walter souvent représentée …
Le viol/l’étreinte
L’atelier et le repos du sculpteur
Rembrand
Le minotaure
Il y a une relative homogénéité de style dans les œuvres, mais on peut distinguer dans certaines œuvres des liens avec les mouvements artistiques de cette période : surréalisme et cubisme …
L’édition et l’imbroglio …
Fin 1938 Lacourière édite 3 tirages de la Suite sur parchemin. Picasso les signe. Il ne reste alors plus qu’à tirer les épreuves sur grand et petit formats.
Curieusement Vollard prend son temps et ce n’est qu’en1939 que Lacourière édite l’ensemble de la suite.
En juin 1939 Picasso commence à signer les épreuves. Il débute par les tirages à grande marge et signe 15 épreuves.
Après avoir signé 10 premières épreuves sur petite papier, Picasso arrête de signer et pique une énorme colère !
Furieux, il va trouver Vollard et une scène violente se déroule entre eux. Il n’y a pas de traces du contenu de cette dispute et de ses causes et en juillet Vollard meurt dans son accident de voiture … On peut néanmoins reconstituer ce qu’il s’est passé ….
Les causes …
En réalité, les commandes de papier et le nombre d’épreuves produites sont très au-delà du deal ORAL. On trouve en effet :
3 parchemins
50 grands formats au lieu de 15
260 petits formats (250+10) au lieu de 50
Soit 31000 œuvres à signer au lieu de 6800 !!!
Vollard pensait-il que cela allait passer ??? Que Picasso ne dirait rien et accepterait ???
On ne le saura jamais du fait de la mort de Vollard peu de temps après la dispute avec Picasso
et en plus en septembre 1939 commence la guerre
La mise sur le marché de la Suite Vollard
Henri-Marie Petiet qui a acquis le fonds Vollard souhaite dans l’après-guerre en commencer la commercialisation. IL se trouve alors face à 2 problèmes : Très peu d’épreuves sont signées ( 3 séries sur parchemin, 15 sur grands papiers, 10 sur petit papier) et il en manque 3 !!! Il n’a que 97 Estampes !!
Que s’est-il passé pour que l’on en soit là et que faire ?
Dans l’imbroglio de la succession Vollard, Fabiani et Lucien avaient cédé au galériste Marcel Lecomte les « 3 portraits de Vollard qui finissaient la suite (plaques et tirages que Lecomte avait de son côté fait signer par Picasso) …
Petiet se trouve donc dans l’obligation de mener 2 négociations : Une avec Lecomte pour obtenir des séries complètes et avec une avec Picasso pour obtenir les signatures indispensables à la valorisation des Estampes …
Contre toute attente, Picasso se monte ouvert à procéder à des signatures, cat il est ému de revoir ses créations. Toutefois, il reste ferme sur le prix de chaque signature (100 francs soit 333€) soit tout de même 3 millions de francs au total (10 M€ !!!!: !!!!)
Accord est pris pour des signatures au coup par coup.
Petiet parvient à constituer plusieurs séries complètes signées et les proposent aux grands musées internationaux et à des grands collectionneurs. Plusieurs séries sont aussi démantelées et les épreuves vendues à l’unité …
On dénombre 14 musées dans le monde possédant une série complète dont la bibliothèque nationale française, 6 musées aux USA dont le MOMA, 3 en Allemagne, 1 en GB, 1 à Caracas, 1 à Camberra et un au Canada (Ottawa)
Picasso signe des estampes jusqu’en 1968 à des tarifs qui augmentent régulièrement, puis, sans que l’on en connaisse la raison, n’accepte plus d’en signer
En 1973, lorsque Picasso meurt, Petiet possède encore un grand nombre de séries non signées. IL tente alors sans succès de négocier avec les héritiers Picasso la possibilité de réaliser un tampon reproduisant la signature de Picasso permettant ainsi d’authentifier les tirages. Il reste donc en possession de nombreuses épreuves non signées … Il n’existe pas de statistique sur le nombre d’estampes signées et le nombre d’estampes non signées.
Après la mort de Petiet en 1980, ses héritiers se trouvent en possessions de piles et de piles d’estampes, dont la suite Vollard,.
Commence alors le plus grand marathon de vente qui ait existé avec 2 ventes d’estampes par an de 1980 à 2017 !!! Année où le 27 novembre une série complète signée a été mise en vente et vendue pour un prix du marteau de 1,9 millions d’Euros … 19000 €/estampe … ce prix a été battu en 2019 par une vente à New York pour 4,3 Millions d’Euros (43000€/l’estampe) …
Cette existence de nombreuse épreuves non signées explique la présence sur le marché de séries comprenant des épreuves signées et des épreuves non signées ainsi que la vente fréquente à l’unité de telle ou telle estampe de la série à des prix très variables de 5000 à 20 000€ selon le sujet et le moment …
Les éditions officielles de la Suite Vollard
2 éditions du vivant de Picasso
1939 Edition Vollard originale : 310 eaux fortes (260=50 ).
1956 Edition Hatje avec accord de Picasso qui a signé un certain nombre des 500 lithographies produites (nombre d’épreuves signées inconnu)
Plusieurs éditions posthumes dont la plus importante est en
1992 l’ Edition Spadem pour le musée de Mühlheim an der Ruhr de 1200 Lithographies, évidemment non signées puisque posthumes …
